mardi 11 août 2009

2. Le Mariage de Monsieur Coeur (1985)


MISE AU POINT

La publication du dernier billet aurait redonné espoir aux plus fervents admirateurs des œuvres giguériennes. En effet, un ami d'enfance de l'auteur pourrait avoir en sa possession une photocopie du célèbre Piou-Piou et Joli-Coeur (1983). On sait de sources sûres que cet ancien camelot du quartier Vanier (Chicoutimi-Nord) détient certaines reproductions des Aventures de Dinopo (1986) (on retrouve d'ailleurs de pareils fac-similés dans les collections Watson's (Londres) et Wanabibi (Pretoria, Afrique du Sud)), mais jamais avait-on entendu parler des photocopies clandestines de Piou-Piou et Joli-Coeur, pas même dans la biographie pourtant très documentée d'Albert Mills (Poïétique et Galimatias chez Giguère, Éditions Logorrhée, 1992). À ce sujet, Mills n'en démord pas :

Découvrir, ne serait-ce qu'un minime fragment, de Piou-Piou et Joli-Coeur se comparerait aisément à la découverte du poème La Chasse spirituelle d'Arthur Rimbaud. Certains chercheurs (on les comprend) ont abandonné leur quête de la Chasse pour se mettre aux trousses de Piou-Piou. (p.129)


Permettons-nous de citer Enid Starkie, biographe célèbre de Rimbaud (Éditions Flammarion, 1982):

C'est pendant la période qui va de son départ de Charleville en mars 1872 à son arrivée en Angleterre en septembre de la même année que Rimbaud composa ses derniers poèmes en vers, autant qu'on puisse le savoir en l'état actuel de nos connaissances. Il vivait une période de créativité intense, et c'est probablement à ce moment-là qu'il écrivit La Chasse Spirituelle, dont Verlaine affirmait qu'elle était sa plus belle œuvre, surpassant par la beauté de sa conception tous ses écrits précédents, et remplie "d'étranges mysticités, et des plus étranges aperçus psychologiques". [...] on ne peut que regretter amèrement la perte de ce chef-d'œuvre. (p.229)


Si certains affirment que ce poème rimbaldien n'a jamais existé, nous ne pouvons en dire autant de l'opus giguérien. Il exista. Présentement, à défaut de pouvoir le lire et lui toucher, nous pouvons le vivre en nos cœurs et prier pour qu'il se manifeste.

LE CÉLÈBRE BAISER



Le Mariage de Monsieur Cœur (1985) reçut un accueil plutôt mitigé à sa sortie. La trame narrative très mince et l'absence d'activités sexuelles des mariés après la cérémonie a profondément déplu à la branche épicurienne des admirateurs de la collection Monsieur.

Par contre, plusieurs critiques d'art se sont intéressés à la formidable représentation du baiser des mariés en page 8. Certains comparèrent la nouveauté de cet embrassement à des œuvres vénérées de l'histoire de l'art (le Baiser de Gustav Klimt (1906-1909) ou celui de Rodin (1890) par exemple), mais Giguère remit les pendules à l'heure en confirmant son intention de souligner le fameux baiser fraternel entre les ex-leaders communistes est-allemand et soviétique Erich Honecker et Leonid Brejnev (1979). Cinq ans après Giguère, l'artiste russe Dimitri Vrubel s'inspira également de ce baiser sur un vestige du Mur de Berlin. Finalement, on ne saurait passer sous silence l'hommage de Gildor Roy aux nouveaux mariés avec sa grandiose chanson Donne-moi un bec (1991).

















LES PERSONNAGES

MONSIEUR CŒUR





Le Mariage de Monsieur Coeur
(1985)
L'Acciden
t de Monsieur Fleur (1985)


Séducteur impulsif, Monsieur Cœur a deux obsessions dans la vie : les filles et sa voiture (marque à définir). Malheureusement pour cette dernière, on la retrouvera bosselée et détruite dans L'Accident de Monsieur Fleur. On ne comprend pas sa fascination pour Madame Magie qui est, admettons-le, plutôt moche. Cela expliquerait-il la raison qui le pousse à dormir pas moins de quinze heures le lendemain de ses noces, comme s'il ne voulait pas ouvrir l'œil avant que sa femme ne se soit évaporée lors d'un tour de magie qui aurait mal tourné ?

MADAME MAGIE






Le Mariage de Monsieur Cœur
(1985)


Cette femme n'a aucun goût, sinon pour les hommes (Monsieur Cœur est un sex-symbol reconnu). Déjà, en page 4, elle ose se pavaner avec une baguette magique en pleine rue, couverte d'une robe affreuse où explose son nom en larges lettres roses. À sa défense, sa peau verdâtre ne s'harmonise pas facilement, mais il faudrait lui rappeler que son mariage est la plus belle journée de sa vie et que sa robe transparente est d'un si mauvais goût qu'on plaint Monsieur Cœur sans discontinuer. Il faudra attendre vingt ans avant de retrouver une femme aussi affreuse chez Giguère, en l'occurrence Odette dans En attendant l'dégât d'eau (2006), personnifiée par le comédien Patrice Leblanc.


L'ŒUVRE

On ne saurait passer sous silence la rapidité de ce récit. Tout a pour essence la célérité, on se rencontre samedi on se marie dimanche, on festoie et on va se coucher, on évacue le sexe pour vivre (alors que la vie ne se peut sans sexe). Notez la maîtrise parfaite des notions brechtiennes en page 6, un écriteau lointain nous éclairant immédiatement sur la situation.


Page 1 : "Si vous sortez de chez-vous [sic] et vous faite [sic] 1000 kilomètres vous allez voir une ville."


Page 2 : "Et au bout de la ville vous allez voir une merveilleuse maison. la maison est a [sic] Monsieur Coeur."


Page 3 : "Monsieur Coeur aime beaucoup les filles."


Page 4 : "Samedi Monsieur Coeur voit une belle fille. Le nom de la fille est Madame Magie"


Page 5 : "Madame Magie dit
- Je t'aime.
Monsieur Coeur dit
- Moi aussi.
"


Page 6 : "Dimanche ils se marient."


Page 7 : "Monsieur Programme dit
- Embrassez-vous.
"


Page 8 : "Et ils s'embrassent."


Page 9 : "Et ils font une fête."


Page 10 : "À 7:00 ils vont se coucher."


Page 11 : "Et ils dorment."


Page 12 : "Et ils se réveillent à 10:00 du matin."


À venir : La Fête de Monsieur Sale (1985)

2 commentaires:

  1. Il est de mise ici de soulever un point dont l’omission volontaire ne demande qu’à être démontrée par quelque théorème poignant et qui, trop souvent c’est l’évidence, n’est effleuré que superficiellement par l’analyste littéraire commun. Si, comme on l’a démontré maintes fois, la trame apparente de « Le Mariage de Monsieur Cœur » se veut ténue et en apparence aussi frêle qu’un puceau devant sa nourrice, elle n’en demeure pas moins suffisamment large pour camoufler des thèmes puissants, actuels et déchirants. Monsieur Cœur, véritable Casanova du ballon prisonnier, ne cherche-t-il pas la rédemption dans une union accessoire (voire vouée à l’échec) ? Quant à la mariée, sa robe blanche, véritable sacrilège pour l’occasion, ne dupe qu’une infime partie du lecteur dont l’œil averti aura plutôt accroché sur son introduction que sur ses formes généreuses. « Madame » s’en va se marier : et donc « madame » l’était déjà avant.

    Le lecteur est donc en droit ici d’y voir la métaphore de l’Amérique séduisante, Adonis du globe terrestre, dont les partenaires commerciaux et militaires couchent déjà avec l’Europe, l’Asie et qui sait encore, peut-être même le Moyen-Orient. Cette thèse mériterait qu’on s’y attarde des décennies mais qui en a le temps ? et surtout dans un commentaire de blog.

    Du temps, il en est également question dans « Le Mariage ». L’analyse de cette obsession, peu commune disons-le chez un enfant-auteur de cet âge, tend à démontrer l’urgence de mûrir qui l’envahissait au moment de la création. Les évènements de l’histoire eux-mêmes n’ont aucun sens si l’on en retire les repères temporels. Ils se rencontrent, ils s’aiment, ils se marient, ils s’embrassent, ils s’amusent, ils s’en vont, ils dorment. N’est-ce pas là le fil d’une vie que l’on voit défiler à toute allure devant nos yeux avant de mourir ? La concision de ce résumé d’une vie entière, lorsqu’on se replace dans le contexte de l’auteur au moment de sa création, fait extrêmement peur. « Si la vie ce n’est que cela, alors vaut mieux lui donner du temps, sinon, la vie n’a pas de sens ».

    Le Mariage de Monsieur Cœur, c’est l’entièreté de la vie et le plus déguelasse, c’est que ça aura prit 12 pages à un Martin Giguère âgé de moins de 10 ans pour la représenter.

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  2. J'ai de la misère à truster Monsieur Programme.

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